
Qu’est-ce qui vous a motivé à écrire dans le cerveau des champions après vos autres ouvrages sur l’attention ?
Il y avait deux motivations principales. La première était de changer l’image que l’on a de la concentration, vue comme quelque chose de contraignant, d’ennuyeux, de difficile, surtout la concentration intellectuelle. Je voulais montrer, en particulier aux jeunes adultes, que retrouver cette maîtrise de l’attention peut ouvrir des perspectives intéressantes. Il m’a semblé que donner l’exemple des experts dans leur domaine, dont les athlètes de haut niveau, pouvait donner envie de s’intéresser à cette attention négligée dans notre monde actuel. Je voulais aussi faire comprendre que cette concentration, trop souvent associée à des tâches très statiques, est en réalité parfaitement compatible avec des environnements très dynamiques lorsqu’elle est bien comprise.
Vous évoquez sept « superpouvoirs » chez les champions qui les différencient des autres. Pouvez-vous nous les présenter ?
Les champions possèdent d’abord une formidable maîtrise technique : dès qu’ils ont l’intention d’agir, leur corps répond immédiatement. À cela s’ajoutent des capacités athlétiques hors normes. Mais leur troisième grand pouvoir est sans doute leur capacité exceptionnelle de lecture des informations : leur cerveau parvient à rassembler et donner du sens à des éléments a priori disparates. C’est une forme d’attention de très haut niveau que l’on retrouve chez tout expert dans son domaine, et qui peut être généralisée. Ils savent aussi deviner les intentions de leurs adversaires, comme s’ils pouvaient se projeter dans leur esprit. Ils ressentent leur environnement comme une extension d’eux-mêmes. Leur cerveau réalise même des sortes de conversions : par exemple, un joueur de badminton ne perçoit pas seulement la position du filet comme une donnée visuelle, il la transforme en une sensation corporelle, une distance par rapport à lui, comme si le filet faisait partie de son propre corps.
Pourquoi considérez-vous la concentration comme le « superpouvoir fondamental » ?
Le cerveau d’un expert dispose de ces superpouvoirs, évoqués précédemment. Il sait potentiellement les mobiliser. Encore faut-il pouvoir utiliser le bon pouvoir au bon moment pour faire la bonne chose ! Et ça, c’est la concentration ! Celle-ci consiste à arriver à mettre le cerveau dans une disposition optimale pour ce qu’il y a à faire, avec un minimum d’énergie perdue. Il y a une sorte d’adéquation comme une clé rentrant dans une serrure. C’est pour cela que la concentration va être source de facilité.
Pouvez-vous expliquer votre méthode PIM (Perception, Intention, Manière d’agir) qui s’inspire des mécanismes d’attention observés chez les athlètes ?
Se concentrer, c’est associer une Perception à une Manière d’agir précise, guidée par une Intention claire. À force de répéter ces cycles perception-action, le cerveau les automatise et déclenche immédiatement la bonne réaction, ce qui représente un gain d’énergie et d’efficacité. Chez les athlètes de haut niveau, un élément essentiel est d’éviter tout ce qui relève du doute ou du conflit entre plusieurs intentions simultanées, car elles se parasitent entre elles. La distraction et la perte d’énergie apparaissent lorsqu’il y a conflit entre les trois composantes du PIM. Les athlètes maîtrisent l’art d’organiser constamment leurs actions dans le temps, de manière à ce que leur concentration soit toujours fixée sur une intention très claire. Et cela, nous pouvons tous l’appliquer au quotidien : il suffit de repérer les moments de conflit entre nos PIM et d’organiser nos tâches en séquences, en pensant dès maintenant à ce que l’on fera ensuite. L’attention se trouve alors canalisée, avec un sentiment de fluidité et de facilité.
Comment s’entraîner à la concentration ?
D’abord, il faut savoir quand se concentrer. Dans certaines situations, les automatismes suffisent, dans d’autres, une véritable concentration est nécessaire. Ensuite, il s’agit d’interroger son PIM : comment je me concentre sur cette tâche ? Où doit être mon attention ? Une fois ces repères posés, on développe peu à peu un équilibre attentionnel dans l’action qui permet de garder l’attention au bon endroit. Progressivement, l’endurance augmente et les déstabilisations se raréfient.
Anne-Sophie Glover-Bondeau


Dans son ouvrage Dans le cerveau des champions (Odile Jacob), le neuroscientifique Jean-Philippe Lachaux, directeur de recherche à l’Inserm, propose une immersion accessible dans les mécanismes de l’attention. Il y présente notamment une méthode simple et efficace pour aider chacun, sportif de haut niveau comme simple lecteur, à canaliser son attention, réduire les distractions et gagner en efficacité.