Les comportements des adolescents désarçonnent parfois leurs parents. Mais ils seraient en partie liés à des changements au niveau de l’organisation du cerveau. C’est ce que nous explique Grégoire Borst, professeur de psychologie du développement et de neurosciences cognitives de l’éducation à l’Université Paris Cité.

France Mutualité. Dans votre livre C’est (pas) moi, c’est mon cerveau (Ed. Nathan), vous expliquez qu’il existe des petits décalages dans le cerveau des ados qui peuvent expliquer certaines de leurs réactions. Quels sont-ils ?

Pr Grégoire Borst. Il s’agit d’un décalage en termes de rythme de développement de deux grands systèmes du cerveau de l’adolescent. Le premier système, le système limbique est impliqué dans la réactivité émotionnelle, la recherche de la récompense et la sensation de plaisir. Ce système a un rythme de développement qui est assez rapide et qui a globalement fini de se structurer au début de l’adolescence. Le deuxième système est le système préfrontal qui a comme fonction de réguler l’activité d’un certain nombre de régions dans notre cerveau, dont les régions du système limbique, et qui a un rythme de développement plus lent. La particularité de l’adolescence est donc d’avoir un système émotionnel qui fonctionne à plein régime et un système qui doit normalement le réguler mais n’est pas encore tout à fait fonctionnel.

F.M. Ce décalage explique-t-il aussi la prise de risque propre à l’adolescence ?

G.B. Effectivement. En raison de leur système limbique en surrégime, les adolescents essaient de maximiser le plaisir et les récompenses. Quand ils sont en groupe, mais pas quand ils sont seuls, ils ont tendance à s’engager plus dans des situations de prise de risque parce qu’ils peuvent espérer des récompenses sociales.

F.M. L’adolescence est-elle une période favorable en termes d’apprentissage ?

G.B. La particularité du cerveau adolescent est qu’il est particulièrement plastique, c’est-à-dire qu’il a la capacité d’apprendre très rapidement du fait justement de sa capacité à modifier un certain nombre de connexions entre les neurones.

F.M. Les adolescents ont besoin de leurs amis mais beaucoup moins de leurs parents. Existe-t-il une cause neurologique ?

G.B. Il n’y a pas qu’une cause mais de multiples facteurs, dont des facteurs sociaux. L’adolescence est une période d’autonomie progressive du jeune qui va aller chercher ses liens d’attachement en dehors de sa structure familiale. Nous appartenons à une espèce sociale et un certain nombre d’apprentissages s’opèrent à l’adolescence comme la compréhension des hiérarchies sociales, de son appartenance à un groupe social et de sa position dans ce dernier.

F.M. Vous expliquez que le plus souvent, il n’y a pas de crise d’adolescence et que ce sont les parents qui ont du mal à s’adapter à ces changements. Quels conseils pourriez-vous leur donner?

G.B. Ils doivent déjà accepter ces changements et essayer d’accompagner cette autonomisation progressive. Ils peuvent essayer de se mettre à sa place en essayant d’adopter sa perspective. C’est parfois difficile parce que les adolescents ont beaucoup de mal à réguler leur frustration et qu’ils accordent beaucoup plus de valeur à certaines choses qui peuvent paraître triviales.

Il faut aussi essayer de laisser ouvert au maximum un canal de communication et ne pas être trop dans le jugement par rapport à leurs réactions émotionnelles.

FM. Et que conseiller aux ados perdus aussi parce que tout change dans leur corps et dans leur tête ?

G.B. Ils peuvent d’une part essayer de s’informer le plus tôt possible concernant ces changements. D’autre part, il faut qu’ils prennent conscience qu’à partir du moment où ils sont dans un groupe, ils vont être sujets à un certain nombre d’influences. C’est important de faire partie d’un groupe et de se conformer à ses codes mais il faut le faire en étant vigilant afin de ne pas s’engager dans des conduites à risque.

On peut aussi leur conseiller de faire très attention à leur cerveau qui est particulièrement sensible à l’environnement. Il faut limiter l’exposition aux écrans mais aussi éviter toute consommation d’alcool et de cannabis et d’autres drogues de synthèse aux effets extrêmement délétères sur le cerveau en développement.

Violaine Chatal